Jours 3 et 4 de mon stage avec Stéphane Lavoué

Ayant en tête de photographier les habitants d’Arles qui donnent son visage à cette ville riche en couleurs, je consacre la troisième journée de mon stage avec Stéphane Lavoué à errer dans les rues. J’ai en poche quelques adresses fournies par l’école où libraires, vendeuses et tisseuses ont accepté de se prêter au jeu. Mais si les modèles se montrent pour la plupart très coopérants, la photographe, elle, doit bien se résoudre assez vite à l’évidence. Je suis incapable de réussir une photo et de maîtriser l’éclairage, très artificiel, des boutiques arlésiennes. Après avoir parcouru plusieurs kilomètres, je retourne épuisée à la Maison des stages, sans même prétendre à imprimer quelques uns des clichés de la journée. Photo, 1 – moi, 0.
Mais le malheur des uns fait souvent le bonheur des autres et le 4ème jour, mon binôme, Florence, qui a également essuyé quelques échecs la veille, me propose que nous partions ensemble à la capture de visages arlésiens. Et pour ce faire, Florence ne manque pas de ressources. Montées sur des vélos – dont la selle trop basse et les poignées trop hautes nous donnent l’air d’enfants ayant emprunté les montures de leurs parents – nous nous arrêtons déjà à trois mètres de l’école, chez Saveurs et Terroir, où le souriant bonhomme Hugo sert des sandwichs composés de produits frais aux abords des Arènes. Florence souhaite recontacter Rémy qu’elle a déjà photographié l’année dernière – sous toutes ses coutures, c’est le cas de le dire. Pas de problème, Vincent est là, comme à toutes heures de la journée, il connaît Rémy et l’appelle immédiatement. « Tu es d’accord que je leur donne ton numéro? Ok, dictes-le moi! Oh! Je suis c*** je l’ai puisque je t’appelle! ». Je lance un regard à Florence à mi-chemin entre l’inquiétude et l’amusement. Rendez-vous est donc pris et nous rejoignons Rémy au bistrot attitré des chasseurs et sympathisants du Front National. La décision est vite prise de quitter les lumières blanchâtres de ce lieu pour nous rendre chez Rémy, lequel, journal « La décroissance » en mains, nous raconte sa dernière rupture avec une grenobloise. « Toutes les mêmes » déclare-t-il, car c’est déjà sa deuxième déception régionale.
Derrière une porte colorée, en haut d’un escalier vétuste, Rémy vit au dernier étage d’un immeuble à proximité des Arènes. Il nous prévient avec une certaine gêne n’avoir pas fait le ménage ce matin tandis qu’il pousse la porte de son studio et que nous sommes saisies, immédiatement, pas l’odeur âcre qui y règne. Les canalisations nous explique-t-il, tandis que le vent fait battre les volets dans la salle de bains, si bien que je lui demande s’il n’y aurait pas enfermé quelqu’un.
L’œil plus expérimenté de Florence repère rapidement la fenêtre, que je suggère aussi rapidement d’ouvrir. Un rai de soleil y pénètre, adoucissant un peu le caractère spartiate des lieux. Nous décidons donc d’y installer Rémy, sur une chaise en bois, aux montants de laquelle pendent chaussettes sales et vêtements élimés. Florence, comme moi, cherche les réglages optimaux pour notre shooting, tandis que j’essaie de capter la lumière avec le réflecteur. Rémy, qui a de son côté épuisé le sujet de la rupture sentimentale, enchaîne sur son passé de punk star et nous montre fièrement l’article paru dans « Libération » sur un ancien membre du groupe de son frère, évadé de prison, le journal titre « Fin de cavale d’un punk qui voulait vivre à fond ».
Patiemment, Rémy se prête au jeu et nous lui tirons à tour de rôle le portrait, tantôt photographe, tantôt assistante. Pendant que j’analyse mes clichés pour préparer la suite, Florence le déplace sur son canapé, situé lui aussi à côté d’une petite fenêtre obscurcie par un drapeau nationaliste. Jonché de vêtements, probablement sales eux aussi, Rémy nous explique qu’il s’y allonge l’après-midi pour y lire les œuvres de Jean Giono.
Pendant que je photographie la vaisselle sale dans l’évier de Rémy, je repère dans un coin de la pièce deux petites altères, comme un indice que l’homme, au style négligé et dont l’appartement n’a semble-t-il jamais rencontré ne serait-ce qu’un balai, soigne en réalité les apparences.
Florence poursuit inlassablement sa prise de vue. Pour ma part, je suis vaincue par l’odeur qui règne dans l’appartement et je fais signe à mon binôme qu’il est temps de quitter les lieux. Elle prétexte donc qu’il nous faut retourner à l’école pour montrer nos clichés au maestro afin d’obtenir ses précieux conseils.
Mais Rémy a bien du mal à nous laisser partir, tant notre visite semble avoir quelque peu égayé sa journée. Sur le pas de la porte, il nous retient donc pour nous offrir son recueil de poésies, « Le crépuscule d’un aigle », publié en 2016 aux éditions La Tulipe Noire, que nous emportons avec reconnaissance après l’avoir chaleureusement remercié.
Sur le chemin du retour, je feuillette les premières pages du recueil. La biographie de Rémy tient en trois mots: « musicien, poète et prolétaire ». Ses poèmes sont inquiétants et révèlent sa douleur quotidienne. Je suis gênée par ses mots, par son mal être. Je me replonge dans l’univers quasi carcéral de son appartement, je revois ses tatouages dessinés semblent-ils par une main d’enfant, et je m’interroge sur l’histoire de cet homme que je regrette déjà d’avoir réduit au rôle de modèle. Aujourd’hui, la photographie m’a apporté bien plus que quelques techniques de base et la maîtrise de la lumière. Nous avons pénétré dans l’antre d’un homme, doux et bon malgré son look de baroudeur, et nous avons participé, en quelque sorte, à lui donner vie à travers nos photos. Il est un homme parmi tant d’autres, qui méritent tous que l’on s’arrête pour les photographier, et je réalise qu’il nous a offert, bien plus que des clichés. Perdu au milieu de sa douleur, je retiens l’un de ses vers:
« Un brin de folie peut nous faire aimer la vie »
Crédits photo: Happinews Therapy
Et pour déguster les excellents sandwichs et paninis d’Hugo, c’est par là: https://fr.tripadvisor.ch/
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